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14 novembre 2013 4 14 /11 /novembre /2013 08:18

Nos héros sont morts ce soir 

 

Projection exceptionnelle du film vendredi 15 Novembre à 18h au Ciné Palace de Romorantin et à 20h30 au Ciné Lumière de Vierzon en présence de David Perrault, réalisateur du film... Imprimez vos billets de réductions ici !

 

NOS HEROS SONT MORTS CE SOIR
Film français de David Perrault avec Denis Ménochet, Jean-Pierre Martins, Constance Dollé... (2013 - 1h34)
France, début des années 60. Simon, catcheur, porte le masque blanc, sur le ring il est « Le Spectre ». Il propose à son ami Victor, de retour de la guerre, d’être son adversaire au masque noir : « L'Équarrisseur de Belleville ». Mais pour Victor, encore fragile, le rôle paraît bientôt trop lourd à porter : pour une fois dans sa vie, il aimerait être dans la peau de celui qu'on applaudit. Simon suggère alors à son ami d'échanger les masques. Mais on ne trompe pas ce milieu là impunément...

“Nos héros sont morts ce soir”, le beau conte rétro de David Perrault

Festival de Cannes 2013 | Avec “Nos héros sont morts ce soir”, présenté à la Semaine de la critique, le jeune réalisateur David Perrault explore l'univers du catch dans la France des années 60.

 Nos héros sont morts ce soir. © DR

Nos héros sont morts ce soir. © DR

Dans la France en noir et blanc du début des années 60, deux balaises font du catch pour gagner leur vie, mais les masques qu'ils portent pour leurs shows sur le ring les entraînent dans un monde de peurs cachées, de menaces étranges... Nous voilà très loin du cinéma français qu'on voit à Cannes ou ailleurs, dans un film-ovni, le premier de David Perrault. Un jeune homme qui, avec un nom pareil, n'a pas de mal à nous entraîner dans un univers de conte fantastique, mêlé de réalité rétro. L'originalité de Nos héros sont morts ce soir, présenté à la Semaine de la critique, c'est aussi sa vraie richesse visuelle, qui, après une mise en place un peu sage, se déploie progressivement, superbement. En une généreuse déclaration d'amour au cinéma.

Quand on demande à David Perrault d'où il vient, il répond : « Je viens de la cinéphilie ». Un vaste pays pour lui. « J'ai une affection particulière pour l'âge d'or hollywoodien. C'est un cinéma plein d'artifices mais qui apporte une vérité sur la vie parfois plus concrète que ne peut le faire le cinéma réaliste. J'aime aussi la Nouvelle Vague et le cinéma français d'après-guerre. J'ai voulu réaliser un film de pur cinéphile, mais pas pour faire des clins d'oeil, des citations : en l'assumant avec force, en m'attaquant à ce film sous l'angle de la mythologie du cinéma ». Le cinéma d'auteur et celui qui fait simplement rêver sont ici amis, reliés par une autre mythologie vraiment populaire, celle du catch. A travers ces combats mis en scène, scénarisés, Nos héros sont morts ce soir nous parle du spectacle, du rôle qu'il peut tenir dans nos vies, de notre fascination de spectateurs. Qui change avec le temps, qui abandonne ses héros, les laisse mourir un soir... Il y a une mélancolie fructueuse dans cette célébration d'un passé capable d'inspirer encore aujourd'hui, de faire resurgir de la magie. « J'ai fait ce film parce que le cinéma ne fait plus rêver comme avant, et je le regrette », dit David Perrault. Rassuré quand même par ce qu'il voit autour de lui à Cannes : « On s'aperçoit ici que le cinéma génère encore des fantasmes et mobilise les gens, qui semblent croire que les films sont capables de changer leur vie. Je peux dire qu'ils ont raison, car c'est ce qui m'est arrivé à moi ».


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12 novembre 2013 2 12 /11 /novembre /2013 08:24

Room 514ROOM 514
Film israélien de Sharon Bar-Ziv avec Asia Naifeld, Ohad Hall, Udi Persi... (2012 - vostf - 1h31)
Anna, enquêtrice dans l’armée israélienne, est une jeune femme idéaliste. Quand elle confronte un officier supérieur à des accusations de violence gratuite à l’encontre d’un Palestinien, sa propre intégrité et sa détermination sont mises à l’épreuve. Malgré la complexité politique de l’affaire et les mises en garde de ses collègues, elle prend clairement position contre ce qui ressemble à un abus de pouvoir. Mais sa quête de justice de plus en plus acharnée aura de lourdes conséquences pour toutes les personnes impliquées.

"Room 514" : en Israël non plus, l'honnêteté ne sert à rien

Des murs uniformes, ternes, des pièces froides et impersonnelles, des visages cadrés au plus près qui abolissent toute profondeur de champ: tout, dans Room 514, inspire la claustrophobie. C'est dans cet environnement administratif asphyxiant qu'évolue Anna, une enquêtrice de l'armée israélienne, déterminée à faire éclater la vérité autour d'un dérapage survenu dans les territoires occupés.

 

Asia Naifeld interprète Anna dans "Room 514", de Sharon Bar-Ziv.

 

 

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Dans une pièce exiguë se tient face à elle un jeune soldat qui ne tarde pas à flancher et à confesser les violences qu'un Palestinien a subies, perpétrées par sa patrouille. Anna confronte alors l'officier qui a coordonné les opérations. Mais sa quête de justice acharnée se retourne contre elle.


 BEAUTÉ INCONGRUE

L'essentiel du premier film de Sharon Bar-Ziv (tourné en quatre jours!) se déroule dans la salle d'interrogatoire où Anna s'échine à obtenir des aveux, dans de très belles scènes où les corps se frôlent et se défient. Avec une très grande précision dans ses cadres, le réalisateur orchestre une chorégraphie désirante et délétère. Sexe, pouvoir et domination cohabitent dans un lieu clos où la beauté de la jeune femme paraît, de prime abord, presque incongrue. Pourtant, ces premières scènes d'interrogatoire, filmées comme de dangereux préliminaires, appellent les étreintes charnelles qui s'ensuivront avec le supérieur hiérarchique de la jeune femme.

Anna fait l'amour avec la même ardeur qu'elle met à traquer les mensonges. Pourtant, elle n'hésitera pas à mentir sans vergogne à son tour à la fiancée de son amant, venue la confondre sur son lieu de travail. Tragique illusion de contrôle, sentiment chimérique de liberté. Prisonnière d'une société patriarcale écrasante et d'une organisation militaire conservatrice, Anna a peu de chance de faire valoir son autorité. Elle s'entête pourtant à poursuivre ses investigations, contre la volonté de ses supérieurs. C'est à sa propre armée qu'elle tient tête et, par ricochet, à l'Etat, ce qui ne va pas tarder à restreindre son champ d'action. 

 

ABSENCE D'HORIZON

Cette absence d'horizon, le réalisateur la traduit à l'image avec ses cadres oblitérés. Il enserre les personnages dans la gangue étroite d'un décor bureaucratique, déshumanisant à l'excès, que même la belle vitalité d'Anna ne peut vaincre. Avec de rares plans à l'extérieur de l'administration – des trajets en bus pour l'essentiel, autre boîte de verre et de métal qui retient captifs ses protagonistes –, le film ne peut pas tout à fait être qualifié de huis clos. Pourtant, un sentiment d'oppression surplombe une fiction où l'enfermement n'est pas seulement physique mais également moral, politique, sociologique. C'est ce qui ressort de ces violentes luttes de pouvoir et de ces joutes verbales cinglantes où le travestissement de la vérité vaudra finalement mieux que sa révélation.

Sharon Bar-Ziv, qui commence une carrière tardive mais prometteuse dans le cinéma, livre un portrait de femme, éprise de justice et de liberté. Une idéaliste, impétueuse et ambivalente, qui va comprendre à ses dépens que "l'honnêteté ne sert à rien", comme l'affirmait Balzac dans Le Père Goriot. C'est cette innocence sacrifiée sur l'autel du conflit israélo-palestinien, tapi en arrière-plan, que dénonce Sharon Bar-Ziv dans un conte moral cruel, très finement exécuté.

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5 novembre 2013 2 05 /11 /novembre /2013 08:07

Le Joli MaiLE JOLI MAI
Film documentaire français de Chris Marker, Pierre Lhomme avec Yves Montand, Chris Marker, Simone Signoret... (1962 - 2h16)
Paris, mai 1962. La guerre d'Algérie vient de s'achever avec les accords d'Evian. En ce premier mois de paix depuis sept ans, que font, à quoi pensent les Parisiens ? Chacun témoigne à sa manière de ses angoisses, ses bonheurs, ses espoirs. Peu à peu, se dessine un portrait pris sur le vif de la France à l'aube des années 60.

Le Joli Mai de Chris Marker et Pierre Lhomme : Paris vu des pavés

Mai 1962, Paris. La guerre d'Algérie s'achève avec la ratification des accords d'Evian et la France connait son premier mois de paix depuis sept ans. Que font et à quoi pensent les Parisiens ? C'est la question que se sont posés Chris Marker et Pierre Lhomme.

 

Cinquante ans après sa première sortie, Le Joli Mai se voit donc offrir une deuxième vie. Une ressortie orchestrée par La Sofra et Potemkine Films visant à marquer le mi-centenaire du documentaire, mais pas seulement. Afin d'obtenir une aide financière de la part du CNC, Chris Marker rédige à l'époque une note d'intention au sein de laquelle on trouve ces mots : « Ce film voudrait s'offrir comme un vivierLe joli mai aux pêcheurs du passé et de l'avenir. À eux de tirer ce qui marquera de ce qui n'aura été inévitablement que l'écume. » Deux phrases qui prennent tout leur sens au moment du visionnage. Au fil des rencontres et des interviews, il est en effet surprenant de constater que les préoccupations des parisiens de l'époque sont, pour la plupart, toujours d'actualité...

 

Le joli maiPour sa majeure partie, Le Joli Mai est en effet composé d'interviews. Des rencontres avec des parisiens venus de tous horizons et issus de différentes couches sociales. Il n'est ainsi pas rare de passer du tout au tout en l'espace de quelques minutes, d'un vendeur de costume à la journée très chargée à un inventeur surexcité ou d'un couple de jeunes amoureux à un ouvrier algérien. La narration n'en reste pas moins exemplaire de fluidité tant les sujets sont abordés de façon judicieuse par Chris Marker. Parfois drôles, parfois touchantes, ces séquences laissent place à intervalle régulier aux superbes plans panoramiques de Pierre Lhomme, pendant lesquels la voix de Yves Montand nous fait profiter de la belle prose des réalisateurs et de leurs réflexions très pertinentes sur l'état et l'avenir de notre société.

 

Le joli maiEn disséquant le quotidien et la vie de ces gens, c'est le portrait frappant d'une ville en pleine mutation que dresse Chris Marker. Un Paris en reconstruction qui compte bien définitivement laisser derrière lui la misère de la guerre. La guerre et la politique, deux sujets visiblement devenus tabous dans une société à la recherche de bonheur, qu'il soit matériel (acheter une télévision) ou spirituel. Un demi-siècle plus tard le pari de Marker est donc remporté haut la main. Le Joli Mai nous restitue avec force et authenticité le Paris de 1962, un lieu et une époque dans ce qu'ils ont de plus familier.

 

À découvrir ou redécouvrir pour tous les amoureux de la ville de Paris.

 

Par Romain Duvic

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29 octobre 2013 2 29 /10 /octobre /2013 08:56

La Danza de la RealidadLA DANZA DE LA REALITAD
Film chilien de et avec Alejandro Jodorowsky, Brontis Jodorowsky, Axel Jodorowsky... (2013 - vostf - 2h10)
M’étant séparé de mon moi illusoire, j'ai cherché désespérément un sentier et un sens pour la vie. Cette phrase définit parfaitement le projet biographique d'Alexandro Jodorowsky : restituer l'incroyable aventure et quête fut sa vie. Le film est un exercice d'autobiographie imaginaire. Né au Chili en 1929, dans la petite ville de Tocopilla, où le film a été tourné, Alejandro Jodorowsky fut confronté à une éducation très dure et violente, au sein d'une famille déracinée. Bien que les faits et les personnages soient réels, la fiction dépasse la réalité dans un univers poétique ou le réalisateur réinvente sa famille, notamment le parcours de son père jusqu'à la rédemption.

La Danza de la realidad : la profession de foi de Jodorowsky 

A 84 ans, Alejandro Jodorowsky n’a rien perdu de son génie. Au contraire, avec La Danza de la Realidad, il signe peut-être le film de sa vie. Autofiction mêlant poésie et symbolisme, le dernier film du cinéaste chilien est un vrai petit bijou d’une beauté et d’une profondeur rares.

 

La Danza de la realidadIl aura fallu 23 ans à Alejandro Jodorowsky pour reprendre la caméra après l’échec du Voleur d’arc-en-ciel. Adapté de son livre du même nom, La Danza de la Realidad est sans doute l’œuvre la plus personnelle et passionnante du grand Jodo. Sûrement parce qu’on y découvre la jeunesse du cinéaste, ses parents, son village d’enfance et l’origine de ses obsessions (les mutilés, les nains, le cirque…). Que ce soit en tant qu’acteurs ou techniciens, les membres de la famille Jodorowsky se sont réunis autour du maître pour mener à bien ce projet à la fois intimiste et universel : revoir sa jeunesse avec des yeux de vieillard.

 

La Danza de la realidadEnfant, le petit Alejandro doit faire face à une dure évolution : le passage de son état d’enfant surprotégé par sa mère à celui d’homme imposé par son père. Tout au long de ce parcours initiatique, il devra faire face aux réalités de la vie et de la mort. Des épreuves qu’il surmontera avec l’aide du Jodorowsky cinéaste qui l’épaulera tout au long du film. L’intervention directe de l’artiste devient une allégorie du destin. En tant que guide spirituel, il rassure l’enfant qu’il était et lui promet un avenir marqué par la philosophie, le mysticisme et la poésie. Le film prend alors les allures d’un récit d’apprentissage qui n’est pas sans rappeler le chef d’œuvre incontesté du metteur en scène : La Montagne Sacrée.

 

La Danza de la realidadMais, si l’on suit le parcours du petit Alejandro de l’Œdipe à la prise de conscience du monde qui l’entoure, le film est plus un hommage rendu à ses parents (en particulier à son père) qu’un simple retour sur sa jeunesse. Pour glorifier sa mère qui a toujours voulu être cantatrice, il décide de ne la faire s’exprimer qu’en chantant. De même, il la met au premier plan d’une scène d’une beauté étonnante au cours de laquelle le jeune Jodo apprend à ne plus avoir peur du noir. La mère, dans la Danza de la Realidad devient l’incarnation concrète de tout ce qu’elle symbolise : elle peut être terrible, nourricière ou encore thaumaturge. Dans le rôle du père, révolutionnaire stalinien d’une sévérité rigide, le cinéaste a choisi son fils Brontis : acteur parfait qui incarne avec justesse l’égarement d’un homme dont les convictions volent en éclat. Le parcours initiatique du petit Alejandro est vite relégué au second plan dès qu’il s’agit de s’intéresser au destin de son père qui tente d’assassiner le dictateur Carlos Ibañez : un meurtre qu’il ne pourra plus commettre après s’être rendu compte de ses similitudes avec le tyran.

 

Plus qu’une simple relecture du passé, La Danza de la Realidad est une profession de Foi faite à la fois au spectateur et à la propre famille de Jodorowsky. En se plaçant en guide spirituel, le cinéaste nous invite à jeter un regard neuf sur le monde, à admirer sa beauté, à réfléchir aux conséquences de nos actes. Parvenant à mettre en parallèle l’innocence de son Moi enfant à la transformation idéologique de son père par le biais de la poésie et du symbolisme, le maître mêle surréalisme, fantastique et onirisme avec brio et laisse au spectateur la sensation d’avoir assisté à quelque chose de grand.

 

Pour les amoureux d’un cinéma fort, mais différent.

 

Par Kévin Renard

 

 

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22 octobre 2013 2 22 /10 /octobre /2013 08:47

Jimmy P. (Psychothérapie d'un Indien des Plaines)JIMMY P.
FIlm franco-américain de Arnaud Desplechin avec Benicio Del Toro, Mathieu Amalric, Larry Pine... (2013 - vostf - 2h00)
Au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale, l'hôpital militaire de Topeka, où sont soignés les anciens combattants, fait une nouvelle admission. Jimmy P, indien Blackfoot ayant combattu en France, présente de nombreux symptômes : maux de tête, cécité, surdité... Impuissante à trouver les causes de son mal, la direction de l'hôtel convoque alors l'ethnologue et psychanalyste français : Georges Devereux. Ensemble, ils plongent dans l’inconscient de Jimmy, et se dirigent vers la voie de la guérison.

 

Cette brillante psychothérapie faite de drame, d'humanité et d'humour, entre le huis clos et le western, est portée par l'élégance et l'intelligence de la mise en scène d'Arnaud Desplechin.

LA CRITIQUE DE TELERAMA

« Tu n'avais qu'une moitié de vie... » Cette réplique, dite par la soeur de Jimmy P., chaque personnage d'Arnaud Desplechin pourrait la faire sienne : le jeune homme de La Sentinelle, s'obstinant à retrouver l'identité d'une tête miniature. Ou la jeune fille d'Esther Kahn, avant qu'elle ne découvre le théâtre... D'où des films-parcours, presque des quêtes, filmés par le cinéaste comme de folles aventures. Avec des solitaires partis à la conquête de la partie manquante de leur vie, ces 50 % destinés à les unir pleinement au monde... Il y a encore un périple dans Jimmy P. : celui qu'entreprend un ethnologue et psychanalyste qui se glisse dans l'esprit tourmenté d'un patient. A la fin de la Seconde Guerre mondiale, Georges Devereux est, en effet, appelé par l'hôpital militaire de Topeka, au Kansas, pour soigner un Indien Blackfoot, Jimmy ­Picard, apparemment guéri d'une ­blessure au crâne, mais dont les troubles — vertiges, maux de tête, hallucinations — ne font qu'empirer...


Ces deux hommes ont vraiment existé. Desplechin les a transformés pour en faire un duo comme le cinéma les aime. Presque un film de copains : deux rejetés sociaux — un Indien et un Juif — que tout différencie, de leur taille à leur savoir (on dirait presque Laurel et Hardy...). Les deux comédiens jouent d'ailleurs de cette opposition. Benicio del Toro, immense, est le héros tragi­que dans toute son ampleur : un poids terrible, trop lourd pour lui, semble peser sur ses épaules et, dans sa bouche, tous les mots sont des souffrances. Une angoisse brute se dégage de cette masse en miettes... Face à lui, Mathieu Amalric sourit, se mouche, parle vite et fort. « Ne soyez pas exubérant ! » lui conseille un de ses confrères. Devereux ne peut pas le suivre : c'est un ludion qui, au lieu de les taire, exhibe ses faiblesses.


Jimmy P. (Psychothérapie d'un Indien des Plaines) : Photo Mathieu AmalricAvec ce duo presque excentrique, Desplechin s'amuse — enfin, c'est une façon de parler : on imagine son angoisse à l'idée de ne pas y parvenir — à filmer ce qui est le plus difficile au cinéma : l'invisible. Juste le cheminement d'un esprit. Rien que le parcours de l'ombre vers la lumière. Tout repose sur sa mise en scène, splendide, intense dans l'épure. Il lui suffit de quelques changements d'angle dans les conversations du médecin avec son patient pour laisser deviner les fils embrouillés de leurs personnalités. Le reste du temps, Desplechin filme un cheminement. Le lien qui se tisse, peu à peu, entre ces deux êtres s'aidant l'un l'autre — inconsciemment ! Au milieu du film, au directeur de l'hôpital qui prend des nouvelles de sa santé, Jimmy réplique, comme une évidence : « Oh ! il (à savoir celui qui le soigne) va mieux » !... Ce n'est pas un mot d'esprit, ni même une plaisanterie. Toute la morale de Desplechin repose sur la fraternité : en gros, on va (un peu) mieux si l'on progresse ensemble. Une idée presque rare, de nos jours, qui en fait l'héritier de tout le cinéma amé­ricain qu'il aime : John Ford, Howard Hawks, Alfred Hitchcock...


Dans cette cure de psychanalyse en direct, il y a bien quelques figures imposées : quelques rêves, quelques notes dans des carnets. Mais, pour l'essentiel, les deux hommes s'écoutent, regardent, vont au cinéma, et c'est de leurs confidences chuchotées que naît la vérité : « J'ai toujours été celui qui laisse mourir une femme », murmure Jimmy Picard. Ça y est : le voilà maître des 50 % manquants de sa vie... Et puis il y a Madeleine (Gina McKee). L'amie du psy. Mariée à un autre qu'elle aime aussi, comme dans Jules et Jim, elle vient le voir à Topeka. C'est évidemment la sensibi­lité de François Truffaut que ­Desplechin évoque lorsqu'il filme, entre cet homme et cette femme, des moments tendres, sensuels et nostalgiques, puisque comptés. Rien ne dure, dans la vie, mais le film est une ode à cette complicité qui unit les êtres et perdure après leur séparation. C'est cette foi qui émeut, dans ce qu'il y a de plus mystérieux et de plus troublant chez l'homme : le pouvoir de s'aider longtemps. 

 

Pierre Murat

 

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18 octobre 2013 5 18 /10 /octobre /2013 09:36

Un Château en Italie

Séance exceptionnelle à partir de 20h le jeudi 24 0ctobre : projection du film suivie d'un débat interractif en direct de Paris avec l'équipe du film : réalisatrice et acteurs.

 

UN CHATEAU EN ITALIE
Film français de Valeria Bruni Tedeschi avec Louis Garrel, Xavier Beauvois, Valeria Bruni Tedeschi... (2012 - 1h44)
Louise rencontre Nathan, ses rêves ressurgissent.
C'est aussi l'histoire de son frère malade et de leur mère, d'un destin: celui d'une grande famille de la bourgeoisie industrielle italienne.
L'histoire d'une famille qui se désagrège, d'un monde qui se termine et d'un amour qui commence.

“Un château en Italie”, nouvelle autofiction entre fantaisie et tristesse de Valeria Bruni Tedeschi

Festival de Cannes 2013 | Dans “Un château en Italie” (en compétition), nouveau film plus ou moins autobiographique, Valeria Bruni Tedeschi jongle habilement entre le récit tragique (un frère qui meurt) et les scènes ultra-comiques.

 Valeria Bruni Tedeschi dans Un Château en Italie . ©...

Valeria Bruni Tedeschi dans Un Château en Italie. © Ad Vitam

Cette fois, elle perd son grand frère adoré (il meurt du sida). Elle tombe amoureuse d'un garçon qui a presque vingt ans de moins qu'elle. Elle veut coûte que coûte devenir mère tout en entretenant une relation tumultueuse avec la sienne. Elle est une actrice qui s'est arrêté de jouer, qui se cherche encore. C'est à la fois Valeria Bruni Tedeschi (VBT) et pas elle. C'est sa vie, son histoire, mais pas exactement. Aucune sœur célèbre dans les parages, par exemple...

Avec Il est plus facile pour un chameau et Actrices, ce film-ci forme un triptyque parfaitement homogène et cohérent. On sent toujours la « Lvovsky touch » : la fidèle Noémie, à nouveau coscénariste, a dirigé VBT comme actrice dès les années 90 (Oublie-moi) et l'a ensuite aidée à devenir réalisatrice, à son trouver son tempo – le rythme compte beaucoup dans ce cinéma aux humeurs multiples.

Mais le bricolage gracieux des débuts a fait place à une indéniable dextérité dans l'articulation de la fantaisie et de la tristesse. Il y a des pans de récits des personnages qui dépassent en intensité les deux premiers « volets ». La tragédie du frère mourant sur fond de luxueuse villa italienne décrépite rappelle la splendeur malade du Jardin des Finzi-Contini, de Giorgio Bassani (et son adaptation à l'écran par Vittorio de Sica). Marisa Borini (la propre mère de VBT, qu'on retrouve de film en film) est de plus en plus spectaculaire, drôle et effrayante. Xavier Beauvois fait beaucoup d'effet en artiste raté et parasite, ancien protégé de la fille et de la mère, ayant perdu son don et ses charmes.

L'autofiction amoureuse paraît d'abord plus gauche, qui réunit, sépare et rabiboche (etc., comme dans Actrices), VBT et Louis Garrel. Or, c'est grâce à cette veine-là que se produit un véritable happening comique, dans une clinique où l'on recueille le sperme et pratique l'insémination artificielle. La précision hyperréaliste de ces scènes et leur crescendo délirant méritent, à tout le moins, la palme du plus grand fou rire provoqué par un film de la compétition.

 

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18 octobre 2013 5 18 /10 /octobre /2013 08:15

Alabama MonroeALABAMA MONROE
Film belge de Felix Van Groeningen avec Veerle Baetens, Johan Heldenbergh, Nell Cattrysse... (2012 - vostf - 1h50)
Didier et Élise vivent une histoire d'amour passionnée et rythmée par la musique. Lui, joue du banjo dans un groupe de Bluegrass Country et vénère l'Amérique. Elle, tient un salon de tatouage et chante dans le groupe de Didier. De leur union fusionnelle naît une fille, Maybelle....

Alabama Monroe : un mélodrame à l'état pur 

Quatre ans déjà que Felix Van Groeningen s'est imposé avec La Merditude des choses, un brûlot flamand aussi alcoolisé que mélancolique. Aujourd'hui, le réalisateur nous revient avec un mélodrame à l'état pur. Presque trop beau pour être vrai.

 

Alabama MonroeDidier et Elise vivent une histoire d'amour passionnée et rythmée par la musique. Lui, joue du banjo dans un groupe de Bluegrass Country et voue une passion pour l'Amérique depuis toujours. Elle, tient un salon de tatouage et chante dans le groupe de Didier. De leur union fusionnelle, naît une fille, Maybelle.

 

Alabama MonroeChez Felix Van Groeningen, le temps se dilate au fur et à mesure que progresse l'émotion. Du haut de ses 7 ans, Maybelle (comme la chanteuse Maybelle Carter) doit tuer le vilain cancer qui la ronge depuis des mois. Le couple doit faire face, affronter la mort qui vient sans crier gare et expliquer à cette petite fille pourquoi le petit oiseau est mort après s'être écrasé sur leur terranda. Puis on avance à rebours dans ce long-métrage qui trouve sa construction dans la déconstruction, toujours guidé par l'émotion la plus pure.

 

Alabama MonroeDe la magie de la rencontre, au poids de la culpabilité, à cette chimio qui ne prend pas, le réalisateur alterne entre la grâce et le désespoir, tout en nous livrant une partition musicale d'une rare beauté. Le titre original de ce long-métrage «The Broken Circle Breakdown» décrit bien ce cercle tragique dans lequel sont aspirés Didier et Elise. Les notes s'adoucissent parfois au son du banjo et de cette Bluegrass Country chère à notre héros (de Bill Monroe à Hank Williams, sans passer par la case Elvis, rassurez-vous) qui décrit parfaitement les aternoiements par lesquels passent nos personnages. Resteront de cet Alabama Monroe la douce lueur d'une étoile, qui veille au dessus de nous et la certitude d'avoir approché la grâce.

 

Si vous appartenez à cette douce contrée des rêveurs.

 

Par Laure Croiset

 

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17 octobre 2013 4 17 /10 /octobre /2013 08:05

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CONNAISSANCE DU MONDE LE PEUPLE AMAZONE une grande fresque
Film et récit de Tahnee Juguin
VENDREDI 18 NOVEMBRE à 14h30 et 18h


Alabama MonroeALABAMA MONROE
Film belge de Felix Van Groeningen avec Veerle Baetens, Johan Heldenbergh, Nell Cattrysse... (2012 - vostf - 1h50)
Didier et Élise vivent une histoire d'amour passionnée et rythmée par la musique. Lui, joue du banjo dans un groupe de Bluegrass Country et vénère l'Amérique. Elle, tient un salon de tatouage et chante dans le groupe de Didier. De leur union fusionnelle naît une fille, Maybelle...
Un pur mélodrame émotionnellement juste, qui réussit la gageure de faire rimer espoir, marginalité, révolte et passion avec un brio éclatant. Et servi par des comédiens talentueux sidérants de naturel, une BO sublime et une mise en scène qui évite avec bonheur les artifices du genre.
LUNDI 21 OCTOBRE à 18h (prix réduit pour tous) et 20h45


Un Château en ItalieUN CHATEAU EN ITALIE
Film français de Valeria Bruni Tedeschi avec Louis Garrel, Xavier Beauvois, Valeria Bruni Tedeschi... Présenté au Festival de Cannes. (2012 - 1h44)
Louise rencontre Nathan, ses rêves ressurgissent.
C'est aussi l'histoire de son frère malade et de leur mère, d'un destin : celui d'une grande famille de la bourgeoisie industrielle italienne.L'histoire d'une famille qui se désagrège, d'un monde qui se termine et d'un amour qui commence.
Dans ce film plus ou moins autobiographique, Valeria Bruni Tedeschi jongle habilement entre le récit tragique et les scènes ultra-comiques.  
JEUDI 24 OCTOBRE à 20h suivi d’un débat en direct de Paris avec la réalisatrice et les acteurs du film


Jimmy P. (Psychothérapie d'un indien des plaines)JIMMY P.  (Psychothérapie d’un Indien des Plaines)
FIlm franco-américain de Arnaud Desplechin avec Benicio Del Toro, Mathieu Amalric, Larry Pine... (2013 - vostf - 2h00)
Au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale, l'hôpital militaire de Topeka, où sont soignés les anciens combattants, fait une nouvelle admission. Jimmy P, indien Blackfoot ayant combattu en France, présente de nombreux symptômes : maux de tête, cécité, surdité... Impuissante à trouver les causes de son mal, l’hôpital convoque l'ethnologue et psychanalyste français : Georges Devereux. Ensemble, ils plongent dans l’inconscient de Jimmy, et se dirigent vers la voie de la guérison.
Une brillante psychothérapie faite de drame, d'humanité et d'humour, entre le huis clos et le western, portée par l'élégance de la mise en scène
LUNDI 28 OCTOBRE à 18h (prix réduit pour tous) et 20h45


La Danza de la realidadLA DANZA DE LA REALITAD
Film chilien de et avec Alejandro Jodorowsky... (2013 - vostf - 2h10)
Alejandro Jodorowsky restitue l'incroyable aventure et quête que fut sa vie. Un exercice d'autobiographie imaginaire qui débute au Chili en 1929 où il fut confronté à une éducation très dure au sein d'une famille déracinée. Bien que les faits et les personnages soient réels, la fiction dépasse la réalité dans un univers poétique ou le réalisateur réinvente sa famille, notamment le parcours de son père jusqu'à la rédemption.
A 84 ans, Jodorowsky n’a rien perdu de son génie et signe peut-être le film de sa vie. Autofiction mêlant poésie et symbolisme, le cinéaste chilien nous offre un vrai petit bijou d’une beauté et d’une profondeur rares... 
LUNDI 4 NOVEMBRE à 18h et 20h45


Le joli maiLE JOLI MAI
Film documentaire français de Chris Marker, Pierre Lhomme avec Yves Montand, Chris Marker, Simone Signoret... (1962 - 2h16)
Paris, mai 1962. La guerre d'Algérie vient de s'achever avec les accords d'Evian. En ce premier mois de paix depuis sept ans, que font, à quoi pensent les Parisiens ? Chacun témoigne à sa manière de ses angoisses, ses bonheurs, ses espoirs. Peu à peu, se dessine un portrait pris sur le vif de la France à l'aube des années 60.
Au fil des rencontres, la caméra de Chris Marker montre les Parisiens dans leur vie quotidienne, afin de composer un portrait politique, social et cuturel de la France de 1962, premier printemps de la paix.
LUNDI 11 NOVEMBRE à 18h et 20h45


Nos héros sont morts ce soirNOS HEROS SONT MORTS CE SOIR
Film français de David Perrault avec Denis Ménochet, Jean-Pierre Martins, Constance Dollé... (2013 - 1h34)
France, début des années 60. Simon, catcheur, porte le masque blanc, sur le ring il est « Le Spectre ». Il propose à son ami Victor d’être son adversaire au masque noir : « L'Équarrisseur ». Mais pour Victor aimerait être dans la peau de celui qu'on applaudit. Simon suggère alors à son ami d'échanger les masques. Mais on ne trompe pas ce milieu là impunément.
A la croisée du film noir et du fantastique et porté par une musique électro, ce film réalisé par David Perrault pourrait se définir comme du French Pulp Cinema. Sélectionné à la Semaine de la Critique 2013.
VENDREDI 15 NOVEMBRE à 18h Ciné débat en présence de David Perrault, réalisateur du film


Room 514ROOM 514
Film israélien de Sharon Bar-Ziv avec Asia Naifeld, Ohad Hall, Udi Persi... (2012 - vostf - 1h31)
Anna, enquêtrice dans l’armée israélienne prend clairement position contre ce qui ressemble à un abus de pouvoir. Mais sa quête de justice aura de lourdes conséquences pour toutes les personnes impliquées.
Des murs uniformes, ternes, des pièces et impersonnelles. C'est dans cet environnement administratif asphyxiant qu'évolue Anna, déterminée à faire éclater la vérité autour d'un dérapage survenu dans les territoires occupés.
LUNDI 18 NOVEMBRE à 18h et 20h45


CONNAISSANCE DU MONDE : L'INDE au milliard de regards
Film et récit de Lionel et Cyril Isy-Schwart
VENDREDI 22 NOVEMBRE à 14h30 et 18h


Inside Llewyn DavisINSIDE LLEWYN DAVIS
Chronique musicale américaine de Joel Coen et Ethan Coen avec Carey Mulligan, Oscar Isaac, Justin Timberlake... (2013 - vostf - 1h45)
La vie de Dave von Ronk, un jeune musicien et chanteur de folk dans l'univers musical de Greenwich Village et de New York en 1961...
Dans ce biopic d’un chanteur folk, entre galères en tous genres, et moment de grâce musicaux, les frères Coen montrent une fois de plus qu’ils maîtrisent parfaitement l’art du scénario et de l’émotion...
LUNDI 25 NOVEMBRE à 18h et 20h45


OmarOMAR
Film palestinien de Hany Abu-Assad avec Adam Bakri... (2010 - vostf - 1h37)
Omar vit en Cisjordanie. Habitué à déjouer les balles des soldats, il franchit quotidiennement le mur qui le sépare de Nadia, la fille de ses rêves, et de ses deux amis d'enfance, Tarek et Amjad. Les trois garçons ont décidé de créer leur propre cellule de résistance...
l’itinéraire d’un jeune homme qui pourrait être comme tous les autres. Mais le conflit israëlo-palestinien décidera de son histoire d’amour, qui sans qu’un mot soit dit, se brisera en même temps que notre cœur.
LUNDI 2 DECEMBRE à 18h et 20h45

 


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10 octobre 2013 4 10 /10 /octobre /2013 12:49

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ILO ILO

Singapour film de Anthony Chenavec Koh Jia Ler, Angeli Bayani, Chen Tian... (2013 - vostf - 1h39)
À Singapour, Jiale, jeune garçon turbulent vit avec ses parents. Les rapports familiaux sont tendus et la mère, dépassée par son fils, décide d’embaucher Teresa, une jeune Philippine. Teresa est vite confrontée à l’indomptable Jiale, et la crise financière asiatique de 1997 commence à sévir dans toute la région…

 

Présenté à la quinzaine des réalisateurs. Il y a remporté la Caméra d'Or, prix distinguant le meilleur premier film de toutes les sélections du festival.

 

LA CRITIQUE TELERAMA

On aime un peu

Ce premier long métrage, ­venu de Singapour, a été mis sous les projecteurs à Cannes grâce à la Caméra d'or, qui lui fut décernée par un jury que présidait Agnès Varda. Laquelle tint à peu près ce langage : habitués que nous sommes aux films ronflants comme des orchestres symphoniques, ne restons pas sourds à la petite musique du cinéma de chambre. Un juste conseil pour aborder Ilo Ilo, chronique familiale qui joue rarement une note plus haute que l'autre, et met la sourdine lorsque la partition des sentiments devient trop déchirante.


L'enfant que filme Anthony Chen est un dur à cuire que rien n'émeut, une teigne à l'école et à la maison. Mais un jour débarque une jeune femme venue des Philippines pour s'occuper de lui, du ménage, de tout. Cette Teresa, silencieuse et effacée, et le turbulent Jiale vont être comme chien et chat. Puis s'apprivoiser. Et même éprouver l'un pour l'autre la plus profonde tendresse. La plus secrète aussi. On la devine. Comme on comprend la sensibilité de l'enfant, un bon petit diable. Mais rien n'est dit, sauf par des regards, des gestes.

Anthony Chen pousse très loin ce cinéma de la pudeur. Il a choisi, comme titre, le nom d'une province des Philippines dont était originaire une jeune fille employée par ses parents quand il était enfant. Un souvenir sans doute inoubliable, inestimable. Mais jamais présenté comme tel : transposé en douceur dans la fiction. On voit ainsi Teresa pren­dre peu à peu la place de la mère. Nul besoin de souligner que là est l'essentiel : c'est le paradoxe que défend ce film presque trop discret parfois, mais d'une parfaite délicatesse. 

 

Frédéric Strauss

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6 octobre 2013 7 06 /10 /octobre /2013 14:32

Blue JasmineBLUE JASMINE
Film américain de Woody Allen avec Cate Blanchett, Alec Baldwin, Peter Sarsgaard, Bobby Cannavale, Sally Hawkins...  (2013 - vostf - 1h38)
Alors qu’elle voit sa vie voler en éclat et son mariage avec un homme d’affaire fortuné, battre sérieusement de l’aile, Jasmine quitte son New York raffiné et mondain pour San Francisco et s’installe dans le modeste appartement de sa soeur Ginger afin de remettre de l’ordre dans sa vie.

 

 

A raison d'un film par an, le cinéma du stackanoviste Woody Allen s'était un peu essoufflé. Ses dernières réalisations, "Midnight in Paris" et "To Rome with Love", si elles ne manquaient pas d'un certain charme, ne laissaient pas un souvenir impérissable. Avec "Blue Jasmine", Woody Allen regagne ses galons de grand cinéaste, à qui le tragique sied autant que le comique.

 

Une héroïne aux airs de Gatsby le Magnifique 

 

Autant le dire toute suite : on ne rit pas, ou alors d'un rire qui châtie ("Castigat ridendo mores", en bon latin) de la déchéance de Jasmine alias Jeanette, cette quadra devenue richissime à la faveur d'un mariage avec Hal, un escroc déguisé en pro des placements, et qui, petit à petit, voit son monde doré s'effriter.

 

Ayant tout perdu, cette parvenue déchue en est réduite à demander l'asile à sa sœur (Sally Hawkins, excellente) caissière demeurant dans un faubourg de San Francisco. La bourgeoise rencontre les prolos. Sur le papier, cela fait simpliste et caricatural, mais le scénario confère à l'intrigue une intensité dramatique et une profondeur qui permettent d'aller au-delà du hiatus entre deux milieux sociaux.

 

La virtuosité de la réalisation tient à l'architecture du film, qui propose un incessant va-et-vient entre le présent de Jasmine, qui noie son désespoir dans le Xanax et l'alcool, et son passé de mondaine où, de soirée en soirée, de révélation en révélation (les infidélités répétées de son mari), le spectateur la voit tomber de Charybde en Scylla.

 

Les flash-back permettent de rendre encore plus palpable la descente aux enfers de l'héroïne attachée à ses prérogatives en même temps qu'ils illustrent la prégnance d'un passé qui l'empêche d'envisager un futur autre que mondain et frivole. Au fond, Jasmine, poursuivant sans relâche un passé doré qu'elle ne pourra pas retrouver, a quelque chose de Gatsby qui a l'illusion de retrouver la Daisy du passé.

 

Entre satire et réalisme social 

 

Allen dresse le portrait au vitriol d'une femme à la fois irritante dans ses contradictions, ses prétentions et ses angoisses de bourgeoise, mais avant tout bouleversante. Loin d'être un personnage monolithique, Jasmine agace et émeut tour à tour.

 

Dans les scènes du passé, la caméra suit son mouvement rapide comme pour montrer qu'elle broie du vide, pour s'arrêter en plan fixe dans une dernière séquence déchirante, où la démence de l'héroïne éclate dans sa pleine expression.

 

Le film, entre satire d'un milieu mondain frivole où sous le vernis clinquant apparaissent les mensonges et réalisme social, n'est rien moins qu'un apologue universel et intemporel sur l'impossibilité de sortir de son milieu. Incapacité certes, à passer de l'opulence à la pauvreté, mais aussi, et c'est ce que montre le parcours de la sœur, pendant inverse de Jasmine, inaptitude à désirer autre chose que ce que l'on a connu. Ginger, la sœur, se satisfait de compagnons "beaufs" ; éclairée par une Jasmine dégoûtée par leur médiocrité, elle choisit un homme un peu plus relevé, mais malheureusement truqueur, pour se retrouver désillusionnée et finalement satisfaite de son premier compagnon.

 

Cate Blanchett, une interprète magistrale

 

Si le film est grand, très grand, il le doit à Cate Blanchett qui, de tous les plans, le porte de bout en bout, tant elle est époustouflante en femme au bord de la crise de nerfs. Visage dévasté, petits yeux sous lunettes bling-bling, son jeu, tout en logorrhées, tient littéralement de la performance théâtrale.

 

Elle interprète magistralement une partition difficile où, sous le masque de la bourgeoise altière, se dévoile peu à peu la femme déchue et névrosée, vaincue par la vie. Sa présence fébrile et les déchirures qu'elle dégage dans ce film d'une âpreté extrême laissent un goût amer qui restera bien plus longtemps en bouche que l'acidulé des derniers films de Woody Allen.

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