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24 août 2012 5 24 /08 /août /2012 12:03
Laurence AnywayLAURENCE ANYWAYS
Comédie dramatique réalisé par Xavier Dolan avec Melvil Poupaud, Suzanne Clément, Yves Jacques (2h39)
Dans les années 90, Laurence annonce à Fred, sa petite amie, qu'il veut devenir une femme.
Envers et contre tous, et peut-être bien eux-mêmes, ils affrontent les préjugés de leur entourage, résistent à l'influence de leur famille, et bravent les phobies de la société qu'ils dérangent.
Pendant dix ans, ils tentent de survivre à cette transition, et s'embarquent dans une aventure épique dont leur perte semble être la rançon
"Laurence Anyways" : variation transgenre sur la fatalité du couple

Le cinéma québécois, entité qui effarouche les cinéphiles par son goût emphatique du sujet de société, n'a jamais trouvé en France, hormis quelques succès occasionnels, une attention digne du lien qui nous relie à nos seuls vrais cousins d'Amérique. Depuis peu, un jeune énergumène nommé Xavier Dolan a réduit d'un coup en miettes cette prévention. Enervée et provocatrice, intelligente et malséante, forte de l'effervescence de la jeunesse, son oeuvre, d'emblée mise en valeur par le Festival de Cannes, a aussitôt été repérée comme un phénomène à suivre. Il faut dire que le trajet est impressionnant. Premier long-métrage à 20 ans, d'inspiration ouvertement autobiographique, sur la relation conflictuelle et fielleuse entre un adolescent homosexuel et sa mère (J'ai tué ma mère, 2009). Le film divise mais fait beaucoup parler de lui. La promesse est rapidement suivie d'une confirmation, celle des Amours imaginaires (2010), sorte de Jules et Jim de notre temps, pop, métrosexuel et enlevé.

Avec Laurence Anyways, Dolan présente son projet à ce jour le plus ambitieux. Une histoire de passion amoureuse déchirée dont l'action, qui dépasse les deux heures trente, se déroule sur une dizaine d'années, de la fin des années 1980 à l'aube du XXIe siècle. La belle affaire, dira-t-on, après Ingmar Bergman et Jean Eustache.


Précisons : il y a bien une femme et un homme qui s'aiment, mais l'homme, un beau matin, veut devenir une femme. Problème. Lucidement formulé par la femme, effondrée, lorsque son partenaire lui avoue sa décision : "Tout ce que j'aime de toi, c'est ce que tu détestes de toi." Mais l'altérité transgenre n'est ici que le cache-sexe, pour ainsi dire, d'une problématique plus classique : la capacité d'un couple, qui se veut naïvement sans limites, à surmonter ce qui borne son désir. Le motif de la transsexualité devient ainsi une sorte de figuration littérale de la définition lacanienne de l'amour : donner ce qu'on n'a pas à quelqu'un qui n'en veut pas.


Le film qui en ressort est un monstre déconcertant. D'un côté, la fuite baroque, le goût du kitsch, le scintillement de l'esthétique queer, la dramaturgie court-circuitée en même temps qu'intensifiée par un flot musical omniprésent (de The Funeral Party de The Cure jusqu'à la "Cinquième" de Ludwig Van Beethoven). De l'autre, un bon vieux mélo des familles, qui ne déroge pas aux canons : primat du romanesque, exposition limpide du conflit, respect du déroulement narratif, dialogues ciselés, morceaux de bravoure pathétiques. Tout démarre en 1989, par l'évocation d'un jeune couple branché qui tire de son aisance à défier les convenances le carburant d'une passion dévorante. Fred (Suzanne Clément), tempérament de feu, est scripte dans le milieu du cinéma, Laurence (Melvil Poupaud), funambule mélancolique, enseignant en littérature à l'université. Les deux personnages portent, du moins au Québec, un prénom mixte, à l'unisson d'une époque qui lâche du lest sur la définition bio-sociale des rôles et des genres.


C'est de là, logiquement, que vient la faille. Une chose est de cultiver le brouillage des identités, y compris sexuelles, une autre de vouloir en changer. Confronté à cet ultime tabou, qui vaut à Laurence son exclusion sociale, le couple est mis à l'épreuve. Laurence, honnête vis-à-vis de son désir, se transforme en femme mais pense que tout est encore possible entre eux. Fred, à laquelle est imposée cette métamorphose, veut croire qu'elle s'en accommodera mais présume de son propre désir. Le mouvement du film prend dès lors la forme tragique d'un impossible amour, d'une élégie qui prolonge sur dix années de ruptures et de retours l'agonie d'une passion vouée à un destin fantomatique.


Les deux rôles principaux jouent une partition contrastée

A côté de personnages secondaires particulièrement bien campés (Nathalie Baye parfaite en mère détruite de Laurence, Monia Chokri électrisante en soeur lesbienne qui dispute à Fred le monopole de l'altérité familiale), les deux rôles principaux jouent une partition contrastée.

 

Abattage maximal, un rien épuisant, pour Suzanne Clément, détermination tout en finesse et retenue pour Melvil Poupaud. Si l'acteur français y gagne, à n'en pas douter, le plus beau rôle de sa carrière, le film y perd en revanche une part de sa puissance. La sérénité et le minimalisme du jeu de Poupaud, destinés à naturaliser son personnage dans le cadre d'une peinture d'un couple de notre temps, ont en même temps pour effet d'étouffer le trouble et la complexité de la différence qu'il revendique. Laurence demeure, aux yeux du spectateur, un garçon charmant qui se déguise en fille, sans que rien du vertige intérieur qui détermine cette mutation ne semble affecter sa relation au sexe, à l'amour ni au monde.


Quelques films récents - on pense notamment à Tiresia (2003) de Bertrand Bonello, Wild Side (2004) de Sébastien Lifshitz, ou Mourir comme un homme (2009) de Joao Pedro Rodrigues - ont apporté sur le sujet une profondeur, une ambiguïté et une sensualité autrement plus déstabilisantes.


Il y a sans doute, de la part de Xavier Dolan, une certaine naïveté à réduire ainsi le personnage de Laurence au rôle de fer de lance d'une campagne contre la normativité sociale. Du moins, ce romantisme juvénile, associé à la grâce pimpante de sa mise en scène, offrent-ils une raison très valable d'apprécier le film et d'espérer en la maturité d'un auteur qui va aussi vite en besogne.

 

 

Melville Melvil Poupaud dans une scène du film franco-canadien "Laurence Anyways" de Xavier Dolan. Melville Melvil Poupaud dans une scène du film franco-canadien "Laurence Anyways" de Xavier Dolan. | © MK2 Diffusion

 

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