A l'occasion de la sortie des "Aventures de Tintin : Le Secret de La Licorne" le 26 octobre prochain, AlloCiné s'est rendu là où le reporter belge n'est jamais allé : en Nouvelle-Zélande et plus exactement dans les fameux studios Weta à Wellington pour tout savoir sur l'événement Tintin au cinéma - Dossier réalisé par Maud Lorgeray pour "Allo CIné"
On le sait tous, Tintin est né en Belgique, de père belge et de mère inconnue. C'est pourtant en Nouvelle-Zélande que le reporter se trouve désormais, selon les informations des studios qui nous invitent à sa rencontre en juin 2011. Un nuage de cendres plus tard, le périple est reporté à fin-juillet. En plein coeur de l'été, le voyage au bout du monde peut commencer. Car dans ce cas, l'expression "au bout du monde" n'est pas exagérée. Au programme : 30 heures d'avion, deux escales et 18 976km au compteur. A l'arrivée à Wellington, pas de temps à perdre à grelotter (c'est l'hiver et le thermomètre atteint difficilement les 8 degrés) : les minutes sont comptées, dans 48h il faudra repartir, et toujours aucune trace de Tintin!
Andy Serkis en Capitaine Haddock et Jamie Bell en Tintin © Sony Pictures Releasing France
Très vite, les informations se précisent. Une dizaine de journalistes web du monde entier (majoritairement américains) ont répondu à l'appel dans un but très précis : visiter les studios Weta, fondés en partie par Peter Jackson. C'est bien ici, dans une banlieue néo-zélandaise sans histoires, qu'ont vus le jour la trilogie Le Seigneur des anneaux, Avatar ou encore King Kong pour ne citer qu'eux. Autant dire qu'en moins de 20 ans, Weta est devenu un acteur incontournable du cinéma mondial.
Dans moins de deux mois sortira donc le nouveau bébé du studio, et le moins que l'on puisse dire, c'est que le projet a de quoi provoquer interrogations, excitation et impatience. Devant la caméra, l'un des héros de BD les plus connus au monde, dont les aventures ont été traduites en près de 58 langues (si ce n'est plus). Derrière la caméra, Steven Spielberg. A ses côtés, Peter Jackson, producteur plus qu'investi dans le projet. Et une impression de jamais vu visuellement, avec un univers 100% virtuel, dû à la magie de la performance capture.
© Sony Pictures Releasing France
De quoi faire saliver les journalistes présents, bien décidés à comprendre comment s'est bâti ce Tintin nouvelle génération. Cela tombe bien, le programme de la journée s'annonce chargé, entre conférence avec Steven Spielberg (en duplex de Los Angeles) et Peter Jackson (présent sur place), démonstration de performance capture et rencontre avec les animateurs, dessinateurs, ingénieurs ou monteurs, qui reviennent sur un processus créatif long de six années. Ou comment tout savoir (ou presque) sur le film qui s'annonce comme l'événement cinématographique de la fin d'année. Mille millions de mille sabords, c'est parti!
L'histoire de la rencontre entre Steven Spielberg et Tintin est désormais bien connue. Tout commence il y a 30 ans, en 1981, lorsqu'un journaliste fait remarquer au réalisateur la ressemblance qu'il existe entre son Indiana Jones : Les Aventuriers de l'Arche perdue et un personnage de BD du nom de Tintin, très connu en Europe. Il n'en faut pas plus pour que le papa d'E.T. se passionne pour le reporter et entre en contact avec Hergé, qui décède avant que les deux hommes aient pu officiellement se rencontrer. Il n'empêche, Spielberg acquiert les droits en 1983, mais ce n'est que 20 ans plus tard qu'il se lance officiellement dans l'aventure.
Ne sachant toujours pas quelle forme prendrait l'adaptation, il contacte les studios Weta au milieu des années 2000 et leur demande de travailler sur une version animée de Milou. A ce moment, l'éventualité de combiner prises de vues réelles et personnages en images de synthèse est posée, comme l'explique Peter Jackson, qui s'attelle alors à la création d'un Milou numérique : "Si nous allions faire un chien en CGI, et le faire évoluer dans un environnement réel, alors il fallait se faire une idée du possible résultat. Et à ce moment là je tournais King Kong, nous avions donc ce gros bateau à disposition ainsi qu’un département costumes, et j’ai pensé qu’il serait bien que quelqu’un se déguise pour voir évoluer Milou dans un environnement réel. J’ai donc réfléchi et je me suis dit que j’étais le mieux placé pour jouer le Capitaine Haddock."
Peter Jackson © Warner Bros. France
En grand fan de Tintin depuis sa naissance, Peter Jackson se glisse donc dans le col roulé du marin grincheux et se met en scène pour un résultat détonnant ( nous avons vu la vidéo et elle est à la hauteur de sa réputation). "Je n’avais rien dit à Steven qui tournait La Guerre des Mondes à ce moment là, et je crois vraiment que le test l’a convaincu de la nécessité de faire un film en performance capture et pas en prises de vues réelles (rires). C’était vraiment la première fois que nous avons parlé en profondeur du projet, et j’ai alors découvert quel grand fan il était."
Si les deux hommes se connaissaient de vue, ils n'avaient encore jamais collaboré ensemble. Grâce à cette initiative, la glace est rompue. "Malgré tout le respect que j’ai pour Peter, cet essai est la raison qui a fait que le film n’est pas en prise de vues réelles!" explique Steven Spielberg. "Quand j’ai reçu la vidéo, je ne m’attendais pas à ce que Peter joue Haddock, nous devions juste avoir une idée de ce que Milou pouvait donner à l’écran et s’il était compatible avec un environnement réel. J'ai donc été très surpris et je crois que c’est à ce moment là que j’ai réalisé pour la première fois que Peter pouvait vraiment être mon partenaire dans cette histoire et s’y investir totalement."
Peter Jackson et Steven Spielberg© Sony Pictures Releasing France
Nous sommes alors en 2004, mais le projet n'est pas plus avancé. Si les deux hommes savent qu'ils ne veulent pas de prises de vues réelles, ils ignorent encore quelle apparence prendra le film, quels tomes ils adapteront ou à quels acteurs ils feront appel. Commence alors une longue phase de pré-production, qui va durer près de cinq ans. "Je ne me rappelle pas que nous ayons souvent été en désaccord", déclare Peter Jackson. "Pour moi, ça ressemblait plutôt à faire des mots croisés assez compliqués avec un ami. Et dans ces cas-là, l’important n’est pas que quelqu’un finisse le jeu en premier, il n’y a aucune compétition. Nous avions un problème de base, qui était de savoir comment adapter Tintin et comment réussir à en faire un film."
Avant même de chosir quel livre fera l'objet d'une adaptation sur grand écran, Peter Jackson et Steven Spielberg se tournent vers l'homme de l'ombre, celui par qui le succès arrive. Il s'appelle Richard Taylor et il est le vrai créateur de Weta, qu'il a monté avec sa femme en 1987. Spécialisés en costumes, accessoires et maquillages, les époux font la rencontre de Peter Jackson, alors apprenti cinéaste dans les années 80. C'est ce qui s'appelle un coup de foudre artistique, qui se concrétisera par un premier bébé, le sanglant Braindead. Suivront tous les films de Peter Jackson mais aussi Le Monde de Narnia ou Avatar. Autant dire que c'est tout naturellement que Spielberg et Jackson font appel à lui pour réfléchir à l'aspect visuel du projet Tintin.
"Peter et Steven voulaient explorer au maximum l’univers de Tintin avant de se lancer dans l’aventure. Ils voulaient voir en quoi les BD étaient transposables sur grand écran et sous quelle forme", explique Richard Taylor. "Le premier exercice qu’ils nous ont donné a été de choisir plusieurs images de la BD et de les reproduire d’une façon plus graphique, avec plus de relief pour étudier le rendu possible en 3D." Le résultat est bluffant : près de 2000 illustrations sont créées, qui feront bientôt l'objet d'un livre écrit par Chris Guise, l'un des dessinateurs. Ce sont ces dessins qui vont définitivement convaincre Spielberg et Jackson d'utiliser la performance capture.
Le moins que l'on puisse dire en discutant avec Taylor et Guise, c'est que les européens n'ont pas le monopole de la Tintinophilie. Obsédés du détail, les deux néo-zélandais se sont totalement immergés pendant 4 ans dans les BD pour capter le style si particulier d'Hergé. "Nous avons fait très attention aux personnages en arrière plan dans les albums et ils sont un peu devenus une obsession", avoue Chris Guise. "Je voyais des sosies de personnages partout au travail. Certains le prenaient d’ailleurs un peu mal ! Et donc tous les personnages que vous verrez dans le film sont dans les livres. C’était très important pour nous que les fans les plus aiguisés puissent trouver leur compte dans le film."
Richard Taylor et Peter Jackson © Collection AlloCiné / www.collectionchristophel.fr
Obsession des personnages donc, mais aussi des décors. L'appartement de Tintin a notamment nécessité une grande attention : "Nous avons commencé par tenter de recréer l’architecture du lieu, pour mieux comprendre comment les pièces s’imbriquaient. Et nous nous sommes rendus compte qu’Hergé lui-même avait parfois fait des faux raccords au niveau de l’emplacement des portes ou de la couleur des rideaux," raconte avec malice Richard Taylor. "On a aussi découvert que l’appartement était plus grand à l’intérieur que ce qu’il paraissait à l’extérieur, comme le Tardis du Doctor Who!"
Dès lors, des choix ont été faits pour rendre cohérent à l'écran cet univers foisonnant : "Nous savons que les spectateurs peuvent rapidement se lasser d’un lieu dans un film, surtout si une grande partie de l’action s’y passe" explique Chris Guise. "Nous avons donc complexifié un peu son appartement en ajoutant une pièce, qui permet aussi de resituer le personnage pour ceux qui n’en ont jamais entendu parler. Il y a donc dans le film une pièce supplémentaire: un bureau avec au mur des images de ses voyages et ses aventures."
Jamie Bell en Tintin, Simon Pegg et Nick Frost en Dupont et Dupond © Sony Pictures Releasing France
Grace à ce travail minutieux, Weta Workshop est alors en mesure de présenter à Spielberg et Jackson un univers visuel sur lequel le film peut être basé. "Ça a été une expérience extraordinaire pour nous," raconte Richard Taylor. "Je me souviens qu’il y a 20 ans, à nos débuts, quand notre unique téléphone sonnait, une des blagues récurrentes était de dire "C’est Spielberg au téléphone !" C’était un de nos rêves. Et maintenant nous l’avons quasiment tous les jours au bout du fil." Un avis partagé par Chris Guise : "Peter et Steven étaient comme des enfants quand nous leur présentions tout ça, ils riaient et c’est vraiment clair qu’ils adorent ce qu’ils font. J’ai vu beaucoup de gens blasés dans ce métier, mais ce n’est vraiment pas le cas de ces deux-là !"
Forts de ces bases visuelles, Spielberg et Jackson démarrent alors une nouvelle phase du projet. Choix du tome, acteurs et scénario, il reste encore beaucoup de travail...
Après bon nombre d'interrogations, l'heure est venue, en 2007, de choisir le sujet du film. "Nous voulions que le premier film marque la rencontre entre Tintin et Haddock, qui a lieu dans « Le Crabe aux pinces d’or », mais nous trouvions qu’il y n'y avait pas assez d’ampleur dans ce seul album pour y centrer notre film," explique Peter Jackson. "Nous avions souvent parlé du « Secret de la Licorne » parce que c’est un tome qui contient beaucoup d’aventures, des mystères, et qui explore la généalogie du Capitaine Haddock. L’histoire tourne autour de ses ancêtres et de ses origines et c’était donc intéressant qu'Haddock entre dans la vie de Tintin et qu’ils soient amenés à explorer ensemble son passé."
Peu de traces dans le film, en revanche, du Trésor de Rackham le Rouge, contrairement à ce qui avait été annoncé. "Quand vous lisez les albums, vous réalisez qu’il y a une longue histoire avant « Le trésor de Rackham Le Rouge » , et donc vous comprendrez en voyant le film que le personnage ne soit pas très présent," explique Peter Jackson. "Mais nous espérons pouvoir explorer davantage ce tome dans un futur épisode, si nous en avons l’opportunité."
Jamie Bell en Tintin et Andy Serkis en Capitaine Haddock © Sony Pictures Releasing France
Jackson et Spielberg le savent : la sélection du tome n'est que le début d'un long processus d'écriture, qui commence réellement avec le choix du scénariste. "Peter est un grand fan de Doctor Who. Je le suis aussi, mais Peter est vraiment un inconditionnel", raconte Steven Spielberg. "Et c’est donc Peter qui a suggéré de demander à Steven Moffat, le showrunner de la série, de travailler avec nous." Le scénariste britannique, à qui l'on doit aussi la résurrection de Sherlock à la télévision, accepte de plancher sur le projet. "Il était sur le point de nous rendre une première ébauche quand il a du retourner à Doctor Who", continue Steven Spielberg. "Comme il ne pouvait pas faire les deux choses à la fois, nous avons donc engagé deux autres scénaristes britanniques, Joe Cornish et Edgar Wright, qui ont approfondi son travail."
Appelés à la rescousse, Cornish et Wright sont tous sauf des seconds couteaux. Si le premier a fait beaucoup parler de lui dernièrement avec Attack The Block, le second n'est rien de moins que le réalisateur des cultes Shaun of the Dead, Hot Fuzz et Scott Pilgrim. Le fait que les trois hommes soient tous britanniques ne tient pas du hasard. "Nous voulions donner au film un ton européen et il nous semblait donc judicieux de faire appel à des scénaristes européens" explique Jackson. "Tintin est une histoire européenne et nous voulions retrouver cette sensibilité. Dans l’idéal, nous voulions aussi que les auteurs soient eux-mêmes des fans de Tintin, afin de ne pas avoir à expliquer l’ADN de la BD. Tintin est très dense, il y a de l’action, de l’aventure, de la satire et un humour particulier. C’est un mélange singulier et nous voulions que le film capture cette complexité."
Steven Moffat, showrunner de la série britannique Doctor Who © BBC
Une fois n'est pas coutume, le choix des acteurs s'est fait dans la plus grande sérénité, voire même facilité. "Pour un film classique, l’apparence d’un acteur est essentielle. Si le personnage a 20 ans, on ne peut pas prendre un cinquantenaire pour le jouer" confie Steven Spielberg. "Avec la performance capture, vous êtes complètement libres, vous devez juste choisir un acteur qui puisse habiter le personnage, sans se soucier de son physique." Avec cette idée en tête, Peter Jackson et Steven Spielberg savent qu'ils ont carte blanche et vont faire appel à des acteurs qui leur sont familiers. Pour jouer Tintin, Peter Jackson pense à Jamie "Billy Elliot" Bell, qu'il a déjà dirigé dans King Kong : "Jamie est très honnête, avec un bon sens de l’humour et une grande détermination. Il fait de son mieux à chaque fois et ce sont vraiment des qualités essentielles que l’on retrouve chez Tintin."
Jamie Bell © Pretty Pictures
C'est aussi Peter Jackson qui suggère le nom d'Andy Serkis. Après l'avoir fait jouer Gollum et Kong, le réalisateur pense naturellement à lui pour le rôle du Capitaine Haddock, "non pas parce que nous sommes très amis mais parce que je savais qu’il saurait exactement quoi faire avec ce personnage et son énergie." Daniel Craig, proche de Spielberg depuis leur collaboration sur Munich, accepte le petit rôle de Rackham Le Rouge. Enfin, Nick Frost et Simon Pegg, les acteurs fétiches du scénariste Edgar Wright décrochent les rôles de Dupont et Dupond. "Ils sont déjà pratiquement jumeaux dans la vraie vie", plaisante Steven Spielberg. "Ils ont deux corps pour un seul cerveau !" ajoute Peter Jackson, hilare.
Andy Serkis, Daniel Craig, Simon Pegg et Nick Frost
Du français Gad Elmaleh ou de l'absence du professeur Tournesol, il ne sera pas question, chronomètre oblige. Mais Milou me direz-vous ? Pouquoi ne pas avoir fait appel à un vrai chien ? "Pour Le Seigneur des anneaux, nous avions fait de la motion capture avec des chevaux. Nous avions placé des capteurs et nous les avions fait galoper pour bien saisir tous leurs mouvements," répond Peter Jackson. "Mais nous ne voulions pas avoir à éduquer un chien pour Tintin, car Milou fait beaucoup de choses compliquées, et il aurait vraiment fallu un grand entraînement."
Milou sera donc uniquement créé numériquement, et ce sont les studios de Weta Digital qui vont s'en charger...
Une fois ces quelques formalités remplies, il est temps pour Weta Digital de prendre part à l'aventure. Cette branche de la compagnie voit le jour en 1993, quand Peter Jackson souhaite créer des effets spéciaux numériques pour son film Créatures célestes. Depuis, outre les projets du patron, la filiale s'est occupée des effets spéciaux de I, Robot, Les 4 Fantastiques, District 9, X-Men: Le Commencement ou plus récemment La Planète des singes : les origines. Sans oublier le géant Avatar, grâce auquel l'équipe a perfectionné sa technique de performance capture et remporté un Oscar. Situé à quelque pas de la structure-mère, Weta Digital prend donc le relai de Weta Workshop pour créer l'univers numérique du film et faire entrer les personnages dans la troisième dimension.
Mais c'est un travail de longue haleine qui attend Weta Digital sur Les Aventures de Tintin. En effet, Steven Spielberg a demandé à ce que la majorité des décors et les apparences des personnages soient créées avant le tournage. "Ce que nous voulions, c’est que Steven puisse être sur un plateau de tournage où les décors sont déjà conçus virtuellement, de même pour les personnages," raconte Peter Jackson. "D’habitude, sur un film en performance capture, on tourne la scène et deux mois plus tard, on se retrouve à travailler sur les effets spéciaux pour créer l’environnement autour. Mais ce n’est pas ce que l'on voulait. Il y a donc eu énormément de pré-production pour ce film."
Grâce aux dessins papier de leurs confrères de Workshop, les animateurs de Digital commencent à travailler sur l'animation 3D des personnages. "Une chose est sûre, on ne voulait surtout pas que Tintin ressemble à un ballon avec deux yeux," explique Steven Spielberg. "Il fallait qu’il soit amical, téméraire, tenace, avec un côté boy-scout. On a donc pris en compte ces valeurs et on a fait de nombreuses tentatives afin de trouver le bon aspect physique pour Tintin. Ce n’est pas arrivé en une semaine, ce n’est pas arrivé en une année, ça a pris plus longtemps."
Même son de cloche pour le Capitaine Haddock, dont l'apparence est passée par plusieurs phases, que nous expose Joe Letteri, directeur de Weta Digital : "Nous nous sommes posés les questions les plus basiques : Quel âge a t-il ? A quoi ressemble-t-il quand il est heureux ? Comment sont ses dents ? etc.… Nous avons finalement statué sur le fait qu’il devrait avoir dans les 35 ans mais sembler plus âgé, à cause de son problème avec l’alcool. Nous avons aussi eu beaucoup de travail avec sa barbe, car nous nous sommes rendus compte que la barbe dessinée par Hergé est très haute. Personne ne porte de barbe comme ça dans la vraie vie. Il fallait donc réussir à capturer l’essence des dessins d’Hergé, tout en l’adaptant au type d’animation que nous avions choisi."
Andy Serkis dans la peau du Capitaine Haddock © Sony Pictures Releasing France
A chaque fois, les animateurs fonctionnent par étapes. La base d'une animation s'appelle le "previs", il s'agit d'un schéma animé très simple, l'équivalement du storyboard qui, on nous l'explique, n'est plus utilisé. A cette première ébauche vont s’ajouter de nombreuses autres versions, qui nécessitent à chaque fois d’être validées par Steven Spielberg. Ce sont de très courts segments qui sont présentés, quelques secondes au mieux. Un mouvement de bouche, le clignement d'un oeil : tout fait l'objet d'un traitement spécifique et unique. "L’animation des personnages ressemble un peu à de la biomécanique," explique Joe Letteri. "Il faut comprendre comment les choses fonctionnent avant de les animer et voir quel muscle a une influence sur un autre. Quand un personnage sourit par exemple, son œil frise, il faut donc animer tous les muscles en même temps. Si la bouche bouge, le reste doit correspondre."
L'une des plus grandes difficultés rencontrée par les animateurs concerne la texture de la peau. "Nous sommes arrivés à une technique qui nécessite de faire appel à de vraies personnes pour obtenir une vraie qualité de peau à l'écran," explique Gino Acevedo, responsable des effets visuels. "Nous avons expérimenté cette technique sur Avatar, qui consiste à mouler à mouler des visages, puis à scanner ces moules". Mais ce ne sont pas les acteurs eux-mêmes qui sont scannés, et ce pour une raison très précise : "Nous nous sommes rendus compte que les acteurs avaient une trop belle peau, sans imperfection, alors que nous cherchons vraiment à reproduire le grain de la peau, et pour ça, il nous faut des des marques, des cicatrices, des boutons. Nos castings sont donc assez marrants, on dit bien aux gens : « Ne soyez pas offensés si vous n’êtes pas retenus, bien au contraire ! »"
© Sony Pictures Releasing France
Un vrai travail de titan et une difficulté supplémentaire : l'animation de Milou. "Quand on a fait King Kong, les gens pensaient que Kong allait être très facile à créer, puisque nous avions fait Gollum", explique Joe Letteri. "Mais Gollum était capable de parler, et c’était donc plus simple de lui attribuer des émotions, car il pouvait les exprimer par des mots. Milou est un personnage essentiel, c’est le partenaire de Tintin et Haddock, mais il n’a que son langage corporel pour s’exprimer. Il est tellement populaire et unique que nous avions une sacrée responsabilité et c'est lui qui nous a posé le plus de difficultés."
A la fin de cette longue période de pré-production, les animateurs ont construit quasiment tout l'univers visuel du film. Il est maintenant temps pour Steven Spielberg et ses acteurs d'en prendre possession. Et une fois n'est pas coutume dans ce projet, les choses vont aller très vite...
Après plusieurs heures de théorie, place à la pratique ! Il est temps de voir à quoi ressemble vraiment un plateau de tournage en performance capture. Peter Jackson nous guide alors dans un grand hangar. Au fond de la pièce, une dizaine d'animateurs s'affairent sur des ordinateurs. Au centre, une cage recouverte de capteurs. Nous y faisons la rencontre de deux comédiens, moulés dans des combinaisons elles aussi recouvertes de capteurs. Ils vont servir de cobayes à Jackson durant sa petite démonstration. Si le tournage de Tintin a eu lieu à Los Angeles en février 2009, le matériel présent à Wellington en est l'exacte reproduction.
Peter Jackson délaisse quelques instants sa tasse Disneyland (si si!) pour se munir d'une caméra et commence sa démonstration. Sur un écran portatif, ce ne sont donc plus deux hommes déguisés dans une cage que l'on voit, mais bien Dupont et le Capitaine Haddock, dans la cabine de ce dernier. Grâce au travail de pré-production, le réalisateur et ses acteurs peuvent immédiatement voir le rendu d'une scène. "Grâce à ce système, Steven pouvait diriger ses plans et manier la caméra comme il l’aurait fait pour un film classique", explique Peter Jackson. "Je pouvais donner des retours immédiats aux acteurs, car je voyais directement ce que ça rendait numériquement," confirme Steven Spielberg. "Je n’étais pas comme un metteur en scène de théâtre qui dirige les comédiens dans un environnement vide, puisque je faisais le film en temps réel."
L’instant suivant et sans que rien n’ait changé sur le plateau, les écrans montrent désormais une scène dans l’appartement de Tintin puis dans la rue. Spielberg a donc pu se livrer à un vrai travail de mise en scène et travailler ses plans un à un. "C’est comme un vrai monde, sauf qu’à certains endroits il manque des morceaux de ciel," explique Peter Jackson. On nous montre ensuite les imposants casques qui captent les expressions faciales des acteurs. "C’est un objet difficile à manier, spécialement quand deux personnages sont censés s’embrasser," confie Peter Jackson. "Mais heureusement cela n’a pas été un problème en ce qui concerne Tintin!"
Steven Spielberg sur le tournage d'Indiana Jones et le Royaume du Crâne de Cristal
© Paramount Pictures
Au milieu de toute cette technologie, certaines scènes ont pourtant dû être tournées de manière très artisanale, notamment celle où Tintin et Haddock sont pris en pleine tempête à bord d'un aéroplane. "Nous avons recréé un squelette d’aéroplane, Andy et Jamie étaient à l’intérieur et des techniciens étaient chargés de pousser la carcasse pour recréer une impression de tempête" raconte Peter Jackson. Même chose pour les scènes de bateau où "une plateforme mouvante a été utilisée, afin de retranscrire la sensation de tangage."
Au final, il n'aura fallu que 30 jours à Steven Spielberg pour tourner Tintin, "ce qui correspond généralement au temps qu’il faut pour faire un petit film indépendant" selon Peter Jackson. Ne pouvant pas être présent en permanence à Los Angeles, le néo-zélandais a pourtant vécu le tournage en temps réel. "Je me levais en plein milieu de la nuit et j’allais dans la pièce à côté, je branchais ma webcam et j’étais en direct sur le tournage", raconte t-il. "Et ce qui est génial c’est que je pouvais rester en pyjama tout en faisant mon travail et je crois que c’est le rêve de beaucoup de gens!"
Peter Jackson et Steven Spielberg © Sony Pictures (photo obtenue en exclusivité par le site espagnol estrenosdecine.net)
Un tournage express donc, mais qui ne marque pas la fin du travail de mise en scène pour Steven Spielberg pour autant. "Pour un film classique, il y a deux étapes : le tournage et le montage, où l’on se retrouve face aux images" explique le réalisateur. "On dit souvent que tout se passe au moment du montage et je suis plutôt d’accord avec ça. Mais les moyens restent limités: si une scène n’est pas efficace, on peut la découper ou la placer à un autre moment mais c’est à peu près tout ce qu'on peut faire. Avec cette nouvelle technique, on peut en permanence ajouter de nouvelles choses, même lorsque la sortie en salles est proche. Je pourrais par exemple décider aujourd’hui que je veux faire des modifications et quasiment ajouter une nouvelle scène au film." (NDLR : cette interview a eu lieu le 28 juillet, soit trois mois avant la sortie du film en salles)
Dans ces conditions, la tentation est grande de revenir en permanence sur le travail déjà effectué pour faire des modifications. "Il faut pourtant savoir s’arrêter," remarque Peter Jackson. "Si l’on commence à faire des plans déments et chercher la prouesse technique à tout prix, alors je crois que le film perd son lien avec le public et devient un objet déconnecté." Avant d'ajouter, rieur :"Je crois que Steven s’est arrêté maintenant, du moins je l’espère!"
Peter Jackson sur le tournage de Lovely Bones © Paramount Pictures France
A ce rythme là, on se dit qu'il va être difficile pour les deux réalisateurs de revenir à un tournage en prise de vues réelles. "Je suis assez nerveux quand il s’agit d’organiser la logistique d'un tournage", avoue Peter Jackson. "Nous allons bientôt partir tourner des scènes en extérieur pour Bilbo le hobbit, et notre emploi du temps est très serré. Alors quand on se réveille le matin et qu’il pleut à verse, on sait que la journée va être difficile. Il n'y a pas ce genre de problèmes sur un film en images de synthèse, mais j’ai aussi besoin de diriger de vrais acteurs dans des décors naturels donc je ne crois pas que je puisse faire uniquement l’un ou l’autre."
Et quand on demande à Peter Jackson combien a coûté le film, le producteur répond par une pirouette : "Si nous tournions Tintin en prises de vues réelles, cela coûterait plus cher, à cause de tous les décors et des détails. Quand vous tournez un film d’aventures comme Indiana Jones, une grande partie de votre budget part dans les décors car vous devez faire le tour du monde. C’est donc bien évidemment plus cher qu’un Woody Allen. Mais pour la performance capture, il n'y a pas de grandes différences budgétaires entre un gros film et un film plus intimiste, car tout doit être construit numériquement, que ce soit un temple inca ou une salle à manger. Et vous tournez au même endroit dans les deux cas."
Une fois le tournage fini, retour à Wellington où une nouvelle branche du studio va prendre le relais.
Après les visites de Weta Workshop et Weta Digital, nous découvrons la grande villa de Parkroad, dédiée à la post-production. C'est ici que les dernières pièces du puzzle Tintin sont assemblées. Quand il a fait construire l'infrastructure en 2002, Peter Jackson n'a pas regardé à la dépense. "Si un comptable s’était chargé de bâtir cet endroit, nous n’aurions certainement pas eu ce résultat spectaculaire", n'hésite pas à dire notre guide. Au programme : une grande salle de projection aux couleurs des mille et une nuits mais aussi plusieurs amphithéâtres dédiés au ingénieurs du son. De quoi finir de créér Tintin en toute tranquilité.
Notre visite commence par une pièce bien particulière, celle des bruitages. C'est ici que sont créés tous les sons du film, à l'exception bien sur des dialogues. On y trouve une quantité d’objets : de la paille, des cordes, de la terre, des gravats, un vélo, une douche, des rondins de bois, un canard en plastique, des torches, un canapé, des boules de billard, des plumes ou encore une poussette. C’est ici que le film prend vie, et que de grands néo-zélandais se balladent en talons aiguilles avant de se mettre à quatre pattes pour essayer de reproduire le son des grattements de Milou. Un gant spécial a d’ailleurs été créé pour l’occasion, afin de reproduire au mieux le bruit d'un chien.
Place ensuite aux ingénieurs du son, qui viennent de recevoir la veille un nouvel extrait de la bande-son signée de l'incontournable John Williams, qui travaille à Los Angeles avec Steven Spielberg. Dans l'extrait en question, Milou se lance dans une course-poursuite et zigzague au milieu de voitures. Pour les ingénieurs, il faut veiller à bien sélectionner les sons qui méritent une attention particulière (Milou, les voitures qu'il percute) et ceux qui peuvent être laissés de côté (les voitures en arrière plan, les passants qui discutent).
© Sony Pictures Releasing France
Place ensuite à une scène où Tintin, Haddock et Milou sont sur une barque en plein milieu de l'Océan. Complètement saoûl, le capitaine ne cesse de frapper ses deux compagnons par mégarde avec une rame. On nous fait entendre les sons isolément, puis le résultat final. Du clapotis de l'eau au souffle du vent, tout provient uniquement de la salle de bruitage. Les ingénieurs du son nous expliquent alors sans inquiétude que le film est loin d'être fini. La bande-son arrive au compte-goutte, mais trouve parfaitement sa place dans le film à chaque fois. Il faut dire que Steven Spielberg et John Williams n'en sont pas à leur première collaboration, d'Indiana Jones à Minority Report en passant par La Liste de Schindler.
Si le film n'est pas encore fini, il doit pourtant bien sortir en salles avant la fin de l'année. Une fois n'est pas coutume, la France, la Belgique, le Royaume-Uni et les Pays-Bas en auront l'exclusivité le 26octobre, tandis que les Etats-Unis devront attendre le 23 décembre. Une sortie décalée qui ne tient en rien du hasard...
Peter Jackson et Steven Spielberg le savent bien : rien n'est gagné d'avance. C'est donc avec beaucoup de précaution qu'ils envisagent le succès du film. En effet, si Tintin est une superstar en Europe (et en Nouvelle-Zélande), aux Etats-Unis, le reporter est un quasi inconnu. Une rumeur confirmée par les journalistes américains présents, qui avouent pour la plupart n'avoir jamais entendu parler d'Hergé avant que le projet du film ne voit le jour. "Les gens de mon âge croient sûrement que c’est un film sur Rintintin" plaisante Steven Spielberg.
Alors quand un journaliste demande au réalisateur s'il n'est pas risqué de miser sur Tintin, dans un univers cinématographique dominé par les franchises Transformers ou Pirates des Caraïbes, la riposte ne se fait pas attendre : "Parmi les films que vous venez de citer, l’un était à l’origine un jeu pour enfants et l’autre une attraction à Disneyland. Il faut bien commencer quelque part. Je ne fais jamais d’études de marché pour calculer la probabilité d’un succès, je recherche juste une histoire qui me plaît. Je ne m’attends pas à ce que Tintin soit un succès, comme je ne m’attendais pas au succès qu’ont pu rencontrer certains de mes films dans le passé." Voilà qui est dit.
© Sony Pictures Releasing France
Une chose est claire : le succès de Tintin n'est pas acquis d'avance. "J’espère que j’aurai aussi la chance d'en réaliser un," confie Peter Jackson, avant d'expliquer que, contrairement à ce qui a été annoncé, le sujet de ce second film n'a pas encore été fixé : "Très honnêtement, je change d’avis tous les mois. Il y a tellement de genres et de lieux à explorer. Je ne sais pas encore si je veux aller en Amérique du Sud, en Egypte ou faire revivre l’Union Soviétique. On peut en faire un film d’aventures à la Indiana Jones ou un bon film d’espionnage, il y a énormément de possibilités."
Selon une information dévoilée en avril dernier, le sujet du deuxième film aurait pourtant bel et bien été arrêté (lire la news). Il s'agirait de Tintin et le Temple du soleil, qui voit le reporter parcourir l'Amérique du Sud, sur les traces des Incas. Nous n'en saurons pas plus, car l'interview touche à sa fin et Steven Spielberg prend une dernière fois la parole : "Ce que je me dis toujours, c’est que la forme est moins importante que l’histoire que l’on raconte. Ce sera toujours le cas pour moi, peu importe les avancées technologiques. Nous avons été très attentifs à proposer un univers qui soit le plus proche possible du style et de la sensibilité d’Hergé. On espère que s'il était encore vivant, il pourrait regarder l’écran et reconnaître les personnages qu’il a créés."
A l'issue de la journée, l'opération séduction a fonctionné auprès des journalistes, ou du moins, a convaincu que Les Aventures de Tintin : Le Secret de la Licorne est bel et bien une histoire de passionnés. Reste maintenant à espérer que le résultat soit à la hauteur des efforts fournis.
Le saviez-vous?
- Les studios Weta tirent leur nom d’un insecte néo-zélandais, similaire au scarabé et envers lequel ersonne/fichepersonne_gen_cpersonne=12243.html">Peter Jackson éprouve une certaine phobie.
- La devise des studios Weta est une citation de J.R.R. Tolkien : "A single dream is more powerful than a thousand realities" ("Un seul rêve est plus puissant qu'un millier de réalités.")
- En 1948, Hergé fait parvenir à Walt Disney sept albums de Tintin, convaincus que l'américain est le mieux placé pour animer le héros sur grand écran. Mais le rêve tourne court quand les studios lui retournent ses albums, expliquant ne pas être à la recherche de nouveaux projets.
- Quand il a acheté les droits en 1983, Spielberg pensait seulement produire le film et le faire réaliser par un européen. Il contacta alors François Truffaut, Jean-Jacques Beineix et Roman Polanski, qui planchera un moment sur l'adaptation du Sceptre d'Ottokar.
- Durant les six ans de préparation des Aventures de Tintin : Le Secret de la Licorne, Steven Spielberg ne s’est jamais rendu en Nouvelle-Zélande. Il n'a d'ailleurs jamais posé le pied sur le continent Océanique de sa vie. Il a ainsi communiqué uniquement par vidéo-conférence avec les animateurs de Weta. Plusieurs téléviseurs étaient installés dans de nombreuses pièces des studios pour permettre au réalisateur de parler directement à ses collaborateurs. "La seule raison qui aurait pu me faire venir à Wellington aurait été pour remonter le moral des troupes, mais leur moral a toujours été au beau fixe, surtout depuis le succès d'Avatar" explique le réalisateur.
© Sony Pictures Releasing France
- A l’origine, Steven Spielberg avait envisagé Daniel Craig dans le rôle de Sakharine, le collectionneur qui souhaite racheter le modèle réduit de La Licorne à Tintin. Finalement, l’interprète de James Bond a décroché le rôle de Rackham le Rouge.
- Parallèlement à Tintin : Le Secret de la Licorne, Steven Spielberg a également réalisé Cheval de guerre, ou l'histoire d'amitié entre un adolescent et son cheval durant la Première Guerre Mondiale. "Je suis un peu bipolaire quand il s’agit des films, je peux travailler sur trois films très différents en même temps," avoue le réalisateur. "J’ai fait ça avec Poltergeist, dont j’étais le scénariste et producteur et E.T., qui sont sortis à six jours d’intervalle. Et en 1996-1997, j’ai aussi dirigé Amistad, Le Monde Perdu : Jurassic Park et Il faut sauver le soldat Ryan. Ces trois films ont été tournés en douze mois. Et je sais que les gens pensent que je suis fou quand je raconte ça!"
Jeremy Irvine et Steven Spielberg sur le tournage de Cheval de guerre © Dream Works Pictures